Impréparés pour la Paix : une décennie de déclin du maintien de la paix canadien

A. Walter Dorn
Initialement publié dans "Les Nations Unies et le Canada: Ce que le Canada a apporté a l'ONU
et ce qu'il devrait faire aujord'hui," John E. Trent (dir.), Mouvement Fédéraliste Mondial-Canada,
Ottawa, Septembre 2013, pp.14–15.(pdf) (anglais)

Résumé

La réputation internationale du Canada comme contributeur prolifique et efficace au maintien de la paix est en déclin depuis plus d’une décennie en raison du désengagement du pays à l’égard des opérations de maintien de la paix. Cette perte d’expérience à l’étranger est aggravée par la perte d’entrainement à domicile, ce qui laisse le Canada impréparé à tout réengagement dans des opérations de maintien de la paix à un niveau comparable au sien il y a quelques années. À mesure que les vété-rans du maintien de la paix des années 90 prennent leur retraite, et que les cours et exercices qui ont été élaborés pour préparer les officiers à faire face aux défis uniques des déploiements de maintien de la paix ont été coupés, les options fu-tures de politique étrangères du Canada sont affectées et offent moins d’options. Au cas où des impératifs nationaux ou internationaux, dans l’ère post-Afghani-stan, feraient revenir à des opérations de l’ONU, les Forces canadiennes et le gou-vernement doivent être prêts. Pour être bien préparées pour la paix, les Forces canadiennes auront besoin de change-ments majeurs dans leur formation et leur préparation de même que dans leur mode de pensée, dès lors qu’il s’agira de servir la cause du maintien de la paix d’une façon constructive et progressiste.


Le maintien de la paix occupe une place de choix dans l’histoire et l’identité canadienne. Les Canadiens savent que Lester B. Pearson a proposé la création de la première force de maintien de la paix, pour épargner au monde une guerre lors de la crise de Suez en 1956, ce qui lui valut le Prix Nobel de la Paix. Jusqu’au milieu des années 1990, le Canada était le plus grand contributeur de troupes de maintien de la paix pendant la Guerre Froide et le seul pays à avoir contribué à chaque mission de l’ONU. Du Cachemire au Congo, de la Bosnie à l’Éthiopie, les soldats canadiens ont été à l’avant-plan de l’ordre mondial, ayant concouru à la paix en des pays déchirés par la guerre. Cette contribution a été reconnue par la Médaille canadienne du maintien de la paix qu’ils ont le droit d’arborer. Le Monument national du maintien de la Paix (nommé « Réconciliation ») à Ottawa est un autre té-moignage de leurs contributions, de même que la silhouette d’une femme sur le billet de dix dollars arborant un béret bleu sous une bannière où l’on peut lire “Au Service de la Paix – In the Service of Peace.”

Mais qu’est-il advenu de cet héritage ‌ Le Canada est-il le contributeur prolifique de naguère au maintien de la paix ‌ Malheureusement, la réponse est non. Bien que le Canada ait jadis fourni jusqu’à 3000 soldats au maintien de la paix, il n’en fournit aujourd’hui que 60 – comme le dit un ami , juste de quoi remplir un autobus scolaire. Bien que les Nations Unies maintiennent plus de 80,000 soldats sur le terrain, le niveau le plus élevé à ce jour, le Canada a maintenu son con-tingent au niveau le plus bas depuis 2006. Deux mois après l’arrivée des conservateurs au pouvoir, le Canada a retiré ses 200 logisticiens des hauteurs du Golan alors que cette mission de l’ONU continue à servir de tampon important entre Israël et la Syrie, qui est en proie à une dangereuse guerre civile. Au lieu du maintien de la paix, le Canada s’est mis à faire la guerre, dépensant des milliards de dollars en Afghanistan pour essayer sans succès de vaincre les Talibans et d’apporter la stabilité au pays. Les Forces canadiennes se sont transformées en une force militaire avec une seule mis-sion et l’Afghanistan comme seul objet d’attention. En une décennie, opérant dans un seul pays, il y a eu plus de soldats canadiens tués qu’au cours de six décennies de maintien de la paix dans plus de 40 pays.

Pire encore, au cours de la dernière décennie, les Forces canadiennes (FC) ont permis un déclin majeur dans la formation et l’éducation en maintien de la paix – ce que l’on appelle les opérations en appui à la paix (OAP) dans la ter-minologie et la doctrine militaire canadienne. Le retrait par le gouvernement de l’appui au Centre Pearson du Maintien de la Paix a entraîné la fermeture de cette institution unique, ce qui signifie que les soldats ne pouvaient plus suivre une formation sur les opérations de paix multidimensionnelles en même temps que des civils et des officiers étrangers. Plus globalement, les FC n’offrent que la moitié des activités de formation en maintien de la paix par rapport à il y a dix ans. Il est à noter que dans les exercices et simulations de formation, les officiers canadiens ne jouent plus les rôles des forces onusiennes comme par le passé. Dans le programme pour le commandement conjoint et le personnel, les of-ficiers planifient et modèlent les opérations d’une alliance, parfois explicitement identifiée comme étant l’OTAN, mais on ne leur offre plus la possibilité de le faire du point de vue d’une mission de l’ONU ou de passer en revue les procé-dures et pratiques de l’ONU.

La mission de combat à Kandahar, en Afghanistan, de 2006 à 2011, a indubitablement donné au personnel des FC une expérience valable en termes d’opérations de combat et de contre-insurrection. Bien qu’il existe une certaine similitude entre ces types de mission et les opérations internationales de maintien de la paix, il y a aussi des dif-férences fondamentales dans la formation, la préparation et la pratique. Le maintien de la paix exige une formation spécialisée dans la mesure où c’est une tâche plus complexe et conceptuellement plus difficile que la guerre. La guerre et la contre-insurrection appellent une stratégie centrée sur l’ennemi, elles ont un caractère non-consensuel et sont essentiellement offensives, tandis que le maintien de la paix est fondé sur une triade de principes : impartialité, consente-ment des parties au conflit et approche défensive dans le recours à la force, même si des actions robustes d’imposition de la paix sont parfois nécessaires. Il faut donc un change-ment majeur de mentalité pour proprement préparer les FC post-Afghanistan à des opérations de paix futures. Des apti-tudes spéciales, distinctes de celles apprises en Afghanistan, sont nécessaires, y compris l’art de la négociation, la gestion et la résolution de conflit de même qu’une compréhension des procédures de l’ONU et de missions de maintien de la paix antérieures.

Ainsi, un effort concerté est nécessaire pour revitaliser les aptitudes des forces canadiennes en maintien de la paix, si elles doivent aider les Nations Unies de façon constructive dans un monde rempli de conflits. Comparativement au passé, il y a peu de chances dans les années à venir que l’on voie des coalitions dirigées par les États-Unis sur le terrain; les militaires canadiens n’ont donc guère d’alternatives pour rendre l’armée utile à l’avenir. Le maintien de la paix fait progresser aussi bien les valeurs que les intérêts du Canada pour l’instauration d’un ordre international stable, pacifique, fondé sur des règles. Il y a un besoin constant de forces de maintien de la paix bien entraînées et bien équipées. Le retour du Canada au maintien de la paix serait célébré par les Nations Unies et la communauté interna-tionale. Un tel développement pourrait aider notre pays à acquérir plus d’influence et de notoriété, y compris pour un futur siège au Conseil de Sécurité de l’ONU, tout en donnant aux Canadiens quelque chose d’encore plus important : un sens renouvelé de fierté dans la contribution de leur nation à un monde meilleur et plus pacifique.




A. Walter Dorn est professeur en études de défense au Collège royal militaire et au Collège des forces canadiennes. Il enseigne à des officiers supérieurs et intermédiaires du Canada et d’une vingtaine d’autres pays. Dans le passé, il a travaillé au département des Opérations de maintien de la paix de l’ONU comme conseiller en formation et comme consultant, de même que comme membre du person-nel civil de l’ONU sur le terrain. Adresse courriel : This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it..