Technologie novatrice aux fins du maintien de la paix des Nations Unies :
Un « multiplicateur de mission » essentiel
Walter Dorn, Ph. D., le 5 octobre 2017
Professeurs des études de la défense, Collège des Forces canadiennes et Collège militaire royal (This email address is being protected from spambots. You need JavaScript enabled to view it.)
Groupe d’experts sur les technologies et l’innovation, Département de l’appui aux missions, Nations Unies
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[Traduction]
Les Nations Unies ont réalisé plus de progrès en innovation technologique au cours des cinq dernières années par rapport aux 25 ans précédents. Toutefois, les pays contributeur en ont encore beaucoup à faire afin d’étudier, d’élargir et d’intégrer les facteurs technologiques requis afin d’améliorer la planification et la performance des opérations de maintien de la paix. Des engagements sont nécessaires aux fins des technologies nouvelles et existantes. Une mise en œuvre rapide des engagements antérieurs est également nécessaire, y compris dans le cadre du partenariat en matière de technologie aux fins du maintien de la paix des Nations Unies.
À mesure que le maintien de la paix des Nations Unies éprouve des difficultés à en faire plus avec moins, des technologies sont nécessaires en tant que facteurs clés. Ils constituent non seulement les « multiplicateurs de force » pour les membres en uniformes, mais également des « multiplicateurs de mission » pour toutes les composantes des missions des Nations Unies, y compris ceux concernant la protection des civils (PC), les processus de rapprochement et de paix, l’aide humanitaire, les droits de la personne, le renforcement des nations et la primauté du droit. Les progrès technologiques remarquables récents des Nations Unies ont uniquement répondu en partie au besoin.[1]
La réunion ministérielle à Vancouver offre une excellente occasion pour les pays, y compris l’hôte canadien, de promouvoir davantage la capacité technologique en matière de maintien de la paix aux Nations Unies. Plusieurs nations participantes servent déjà en tant que « pays contributeurs à la technologie » (PCTech)[2], et des engagements importants en matière de capacité technologique ont également été confirmés lors du Sommet des leaders de 2015 et de la réunion ministérielle à Londres en 2016[3]
En ce qui concerne l’ordre du jour de la réunion ministérielle à Vancouver, la technologie peut aider aux fins de tous les thèmes mis en évidence dans le cadre de la planification. Voici des exemples de chacune des catégories.
Afin de protéger davantage les femmes dans les zones de conflit, un meilleur suivi et de meilleures communications sont essentiels. Peu importe s’il s’agit de femmes qui sont des soldats du maintien de la paix dans des zones de danger ou des femmes locales qui recueillent du bois de chauffage près des camps de réfugiés ou de camps de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays (PDIP), les systèmes de suivi par GPS ayant la capacité d’envoyer un signal de détresse peuvent permettre le signalement et les emplacements en temps réel en cas d’urgence. En outre, les appareils de navigation GPS peuvent aider ces femmes à se rendre à leur destination et à retourner chez‑elles en sécurité. De plus, la capacité de repérer plus facilement le personnel de mission peut permettre d’améliorer la responsabilisation de tel personnel. Afin de contribuer à la prévention de l’exploitation et de la violence sexuelles (EVS) par les soldats du maintien de la paix ou la violence sexuelle liée aux conflits (VSLC) par les personnes locales, des trousses médico‑légales (y compris les technologies en matière d’ADN) peuvent aider à identifier les auteurs, à obtenir des éléments de preuve et à accroître la responsabilisation.
Afin de protéger ceux à risque de manière plus générale, une connaissance situationnelle (y compris le suivi) et une intervention rapide constituent les deux principales capacités nécessaires. Dans le brouillard du conflit, les Nations Unies n’étaient trop souvent pas au courant des attaques actuelles et des menaces imminentes. En fait, les Nations Unies n’ont pas encore créé un système de suivi en temps réel de ses propres véhicules et membres du personnel[4], sans parler d’offrir des moyens de suivi aux personnes locales en danger. Savoir c’est pouvoir et il doit être utilisé pour accroître le pouvoir des soldats du maintien de la paix afin de se protéger eux‑mêmes et de protéger autrui. À l’aide d’un « maintien de la paix avec précision » à l’aide d’appareils de localisation par GPS pour les soldats du maintien de la paix et la population locale, il est plus facile d’envoyer les soldats du maintien de la paix qualifiés pour faire les choses nécessaires[5]. En plus des renseignements sur l’emplacement, en ce qui concerne les opérations axées sur la population, les missions des Nations Unies ont besoin du « renseignement sur la sécurité humaine » – des renseignements analysés sur un vaste éventail de menaces et de possibilités. La collecte de ces renseignements constitue une tâche importante. Selon ma nouvelle proposition « soldat du maintien de la paix participants », les populations locales offriraient aux missions des Nations Unies des renseignements et des avertissements et, par conséquent, ils contribueraient de manière plus directe à leur propre sécurité. Au cours de l’ère numérique, il est possible de créer une « coalition des personnes connectées » qui comprend les personnes locales, offrant ainsi une « une protection par connexion ». À l’aide de la révolution relative aux téléphones intelligents (y compris les logiciels de traduction) et des médias sociaux, les Nations Unies peuvent communiquer plus souvent avec les personnes locales et se tenir mieux au courant. Les missions des Nations Unies peuvent fournir aux personnes locales des cartes SIM aux fins d’avertissements précoces et d’intervention rapide (dans le cadre du « crowdseeding »). Une telle initiative innovante est le réseau d’alerte des collectivités élaboré par la mission des Nations Unies dans la République démocratique du Congo, mais cette nouvelle pratique a besoin d’un soutien, d’une évaluation et d’une intégration ailleurs accrus.
De même, ces technologies peuvent également contribuer à la détection et au déploiement rapides, comme les appareils de surveillance aux fins de détection en cas de conflit ou lorsqu’un conflit s’aggrave et le suivi de la Force bleue (Nations Unies) afin d’envoyer les soldats du maintien de la paix les plus appropriés (parfois ceux qui sont le plus près) pour secourir les civils en danger et pour désamorcer le conflit. La technologie en communications peut jouer un rôle important dans l’échange de renseignements et dans l’avertissement des partenaires, comme les organisations de la société civile.
En ce qui concerne l’innovation en instruction et le renforcement des capacités, les technologies disponibles comprennent des logiciels relatifs aux décisions et à la planification et des systèmes d’apprentissage en ligne, des exercices et des simulations. Des jeux en matière de maintien de la paix pourraient être présentés ou des jeux de guerre existants pourraient être modifiés afin d’inclure le rôle des soldats du maintien de la paix. Pour ce qui est de l’instruction avant le déploiement, les contingents partout au monde peuvent se préparer ensemble à l’aide de logiciels destinés à cette fin, leur permettant de communiquer l’un avec l’autre et de s’instruire ensemble relativement aux scénarios standard aux fins de la prochaine mission. Cela permettra d’établir des partenariats entre les officiers de diverses nations (militaire et police) afin que ces personnes se connaissent et exercent leurs fonctions selon les procédures normales d’opérations avant leur déploiement. Afin d’évaluer le rendement des soldats de maintien de la paix et des missions, les technologies offrent les facteurs clés (renseignements sur l’emplacement, les images vidéo, entre autres). Les caméras (installées sur les casques, les tableaux de bord, les téléphones intelligents) peuvent offrir des images qui s’avèrent utiles dans le cadre de l’instruction, des exercices et des évaluations des répercussions. Les données technologiques et les anecdotes humaines se complètent et contribuent à une évaluation beaucoup plus solide.
L’éventail des technologies utiles est vaste et les Nations Unies n’ont que commencé à étudier plusieurs de celles‑ci. Mais même ces progrès sont en péril à moins que les nations soutiennent les efforts des Nations Unies. Ayant étudié la technologie en matière de maintien de la paix pendant trois décennies et ayant servi directement auprès des Nations Unies cette année, j’énumère certaines de mes propositions particulières sous forme abrégée aux fins de rapidité et de lecture rapide en vue d’améliorer les technologies, les processus et les structures de maintien de la paix novateur :
1. TECHNOLOGIES
Éliminer l’obstacle de nuit : utiliser des appareils de vision scotopique afin d’élargir et d’assurer un maintien de la paix plus sécuritaire par les Nations Unies
– utiliser des appareils électro-optiques en rapide évolution (intensification d’image) et des appareils commerciaux infrarouges ;
– la plupart des personnes qui attaquent les civils profitent de la nuit, tout comme les criminels, les « marchands de mort », les trafiquants d’armes, les minéraux et les humains de conflit ;
– la qualité de l’équipement des pays contributeurs de troupes varie considérablement ; des mises à niveau sont nécessaires et d’autres équipements détenus par les Nations Unies sont nécessaires.
Éclairer les voies et les secteurs à l’aide de lumières automatiques aux fins de sécurité et de détection
– dans les zones sensibles, ainsi que dans les installations des Nations Unies, à l’extérieur des tentes dans les camps de réfugiés et de PDIP ;
– les villes modernes rendent les secteurs plus sécuritaires en améliorant l’éclairage. Cela peut maintenant être effectué de manière plus rentable, même dans des villes ou des maisons sans connexion à une grille électrique, à l’aide lumière de détection de mouvement alimentée par pile solaire.
S’assurer que les transgresseurs de nuit savent qu’ils sont surveillés à l’aide de marqueurs laser
– utiliser des faisceaux laser, sans danger pour les yeux, sur les transgresseurs (visant la poitrine) ;
– un faisceau des armes (viseur canon) des Nations Unies, des véhicules ou des véhicules aériens sans pilote (UAV) ;
– pourrait empêcher de nombreuses atrocités pendant la nuit (y compris la EVS et la VSLC).
Étudier les armes non létales : les soldats du maintien de la paix ont besoin d’un éventail plus vaste d’armes, autres que des carabines létales
– lorsqu’ils confrontent les civils ; en cas de doute ; lorsque les deux parties agissent de manière violente ;
par exemple : des canons d’arrosage, des balles en caoutchouc selon les spécifications des Nations Unies ;
– des armes à impulsions, p. ex. des tasers (inclus dans le manuel de l’équipement détenu par les contingents de 2014 sous l’en‑tête « Équipement majeur ») ;
– les dispositifs acoustiques longue portée, les grenades à munition traumatisante (les pistolets électriques), le système de refus actif, les mousses.
Utiliser la troisième dimension d’espace : les véhicules aériens sans pilote (UAV) pour surveiller et transporter éventuellement
– des progrès doivent être soutenus relativement à l’instauration des nouveaux UAV (micro, mini, tactique, plus important).
Améliorer la capacité de communiquer des renseignements en toute sécurité
– le réseau sécuritaire de la mission Mali (premier système de ce genre pour les Nations Unies, exploité actuellement en vertu d’un contrat) ;
– les Nations Unies doivent apprendre les méthodes ; assumer la responsabilité et déployer des réseaux semblables dans le cadre d’autres missions.
Profiter de la révolution relative aux capteurs, surtout les caméras
– des caméras dans « chacun » des tours des Nations Unies, sur les mâts télescopiques mobiles, dans les véhicules (tableau de bord), sur les membres en uniforme (les caméras corporelles) pendant les opérations ;
– les caméras à distance dans les zones sensibles (secteurs de violence connus) ;
– équiper certains soldats avec une réponse audio afin de permettre une réponse vocale immédiate des Nations Unies.
Profiter de la révolution relative aux téléphones intelligents (capacités d’évolution)
– communications : téléphone, données ou Internet, texto, médias sociaux, entre autres ;
– suivi : par GPS, par système d’information géographique (SIG) ;
– enregistrement : des caméras ou des vidéos, des capteurs, comme les accéléromètres, les gyroscopes, les magnétomètres (compas), de multiples radios, des baromètres et peut‑être des ajouts infrarouges ;
– utiles aux fins d’établissement de rapports sur la patrouille mobile ;
– devient moins coûteux, meilleur, plus robuste, plus pratique ;
– développer des applications propres au maintien de la paix ;
– familier (tous les soldats du maintien de la paix), polyvalents, adaptables (temps, espace) ;
– intégrer dans un réseau de mission (radio, cellulaire, satellite) à l’aide de dispositifs comme RIOS.
Tirer avantage de la vague de renseignements sur les capteurs et des données importantes aux fins de l’analyse des renseignements.
– des logiciels sont nécessaires aux fins de la reconnaissance des tendances, de la détection du changement, d’un entreposage ou archivage accessible ;
– étudier les outils de données importantes et l’intelligence artificielle (y compris l’apprentissage de la machine).
2. PROCESSUS
Encourager l’innovation et le développement continu
– expérimenter, mettre à l’essai, projet pilote, mettre à l’échelle, évaluer, apprendre ;
– accorder la possibilité de faire échec (mise à l’essai à faibles coûts).
Moderniser en continuant de mettre en œuvre le rapport du GETI
– Groupe d’experts sur la technologie et l’innovation (GETI, rapport de 2015 « Performance Peacekeeping », lien)
– de nombreuses excellentes idées, les Nations Unies ont élaboré une stratégie de mise en œuvre robuste, des ensembles de progrès solides, mais aucune évaluation des progrès n’a été effectuée à ce jour.
Saisir les leçons en pratiques exemplaires devant être tirées du déploiement des technologies
– évaluation des systèmes UAV ;
– concevoir des indicateurs de rendement clé pour de nombreuses technologies.
3. STRUCTURES
Soutenir la United Nations Signals Academy (UNSA)
– cours de sensibilisation des femmes en matière de télécommunication parrainés ;
– appuyé seulement par un financement extrabudgétaire (uniquement jusqu’en janvier 2018).
Établir le partenariat aux fins de la technologie en maintien de la paix
– assister au symposium au printemps 2018 ;
– élargir la sensibilisation aux centres d’études et de recherches et aux relations universitaires.
Les nations participant à la réunion ministérielle à Vancouver peuvent aider relativement à toutes ces propositions et initiatives. Les réunions offrent une occasion importante d’améliorer le rendement de la technologie en matière de maintien de la paix, y compris le soutien et l’étendue des initiatives actuelles du Secrétariat, surtout la UN Signals Academy.
Les pays participants pourraient également travailler sur un répertoire de leur propre technologie commerciale et gouvernementale applicable au maintien de la paix, tout comme le gouvernement américain l’a fait au Sommet des leaders de 2015 à l’aide de son « Technology Source Book »[6]. Cela a stimulé les industries américaines. D’autres pays pourraient en faire de même pour leurs sociétés, au profit des Nations Unies.
Il y a tellement d’aide que la technologie pourrait offrir afin d’améliorer la paix. Le fait de ne pas saisir de telles occasions pourrait constituer une négligence sur le plan de la déontologie. Le fait d’en tirer profit permet de sauver des vies et d’atténuer la souffrance humaine.
NOTES EN FIN DE TEXTE
[1] Les progrès réalisés par les Nations Unies au cours des cinq dernières années en matière de technologie comprennent : de nouvelles technologies (y compris les véhicules aériens sans pilote comme les UAV micro, les UAV captifs, les UAV liés aux satellites et les aérostats), des processus (dont, le Groupe d’experts sur la technologie et l’innovation (GETI) de 2014, la stratégie de mise en œuvre du GETI de 2015‑2016, le Programme de connaissance situationnelle de 2017, le Cadre de technologie sur le terrain de 2017 et les mises à jour du manuel de l’équipement détenu par les contingents pour 2018) et les structures (le partenariat aux fins de la technologie en maintien de la paix établi en 2014, les unités d’innovation technologique sur le terrain de 2016‑2017 dans diverses missions, la nouvelle section technologique avec un laboratoire d’innovation dans le centre de services mondial).
[2] Les pays contributeurs à la technologie (PCTech) peuvent également être des pays contributeur de troupes (PCT) et des pays contributeur de policiers (PCP) ou ils peuvent servir uniquement à titre de fournisseurs de technologie (et d’instruction) pour aider les PCT, les PCP et les composantes civiles des missions.
[3] Presque toutes les capacités annoncées à New York et à Londres concernent la technologie. Les engagements liées directement à la technologie à la réunion ministérielle à Londres en 2016 comprennent : le secteur de renseignement, surveillance, acquisition d’objectifs et reconnaissance (ISTAR) belge et l’unité UAV, l’unité UAV de France aux fins de la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations Unies en Centrafrique (MINUSCA), la technologie d’imagerie thermique haute de Hongrie et le groupe de travail sur la patrouille de reconnaissance dans la profondeur aux fins de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).
[4] Par exemple, deux membres d’un groupe d’experts des Nations Unies ont été tués pendant qu’ils enquêtaient des atrocités dans la province de Kasai de la République démocratique du Congo et il y a eu une condamnation générale dans les médias selon laquelle les Nations Unies ne leur avaient pas fourni des appareils de suivi. Pour Kimiko De Freytas-Tamura et Somini Sengupta, « 2 Experts Killed in Congo, U.N. Provided Little Training and No Protection », dans New York Times, le 20 mai 2017, https://www.nytimes.com/2017/05/20/world/africa/congo-zaida-catalan-michael-j-sharp-united-nations-democratic-republic-of-congo.html (en anglais seulement).
[5] Les principes de « maintien de la paix avec précision », de « protection par connexion » et de « coalition des personnes connectées » ont été présentés et décrits dans deux publications : A. Walter Dorn, Smart Peacekeeping: Toward Tech-Enabled UN Operations, New York, International Peace Institute, juillet 2016 (lien) et Lloyd Axworthy & A. Walter Dorn, « New Technology for Peace & Protection: Expanding the R2P Toolbox », dans Daedalus, 145 (4), p. 88 à 100 (automne 2016) (lien) (pdf) (en anglais seulement).
[6] Le Technology Source Book fourni aux Nations Unies par le gouvernement américain est disponible dans mon site Web en format pdf: http://walterdorn.net/pdf/Technology-Source-Book-UN-PKO_DoD_v39.pdf (en anglais seulement).